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Réflexions de Leonardo Palmisano, sociologue auteur de Black Axe.

“Aujourd’hui les Nigérians ont une grande facilité à déplacer les femmes exploitées d’Italie vers d’autres pays européens tels que la Suisse, l’Autriche, l’Allemagne, la Belgique, et le Luxembourg, où le crime organisé nigérian s’est établi en démantelant des réseaux criminels locaux, ou en faisant des pactes avec eux. Les femmes nigérianes qui passent par la Lybie, après un séjour en Italie, sont insérées dans un réseau de circulation des corps qui satisfait la demande de sexe en France et en Europe. En Italie, les mafias se sont peu occupées de l’exploitation de la prostitution, l’installation des réseaux criminels nigérians n’a ainsi pas été très conflictuelle avec le crime organisé italien. Cependant, ça l’a été davantage avec les Roumains et les Bulgares.

Depuis le Covid, en Italie, comme en France, les Nigérianes travaillent davantage en indoor*. L’exploitation de la prostitution en appartement constitue au moins trois types d’avantages pour les réseaux d’exploitation :  le contrôle domestique de la main d’œuvre, le fait que le client peut faire ce qu’il veut à condition qu’il paie et de manière plus protégée que dans la rue, et le fait que les associations anti-traite ont du mal à repérer les prostituées indoor. Le poids de l’assujettissement s’aggrave ainsi, il s’agit d’une véritable condition d’emprisonnement. Je définis cela comme de l’apartheid pulvisculaire sous le contrôle du crime organisé et cela a été impulsé par la pandémie du Covid. Il y a des personnes de plus en plus expertes qui viennent du Nigéria pour gérer ces réseaux, et aussi des femmes qui viennent directement de maisons closes nigérianes. Opérateurs et avocats anti-traite me disent à ce propos qu’aujourd’hui, il existe des tchats et des plateformes où les clients peuvent directement choisir la fille qui travaille dans les bordels nigérians, qui se déplace donc par voie aérienne du Nigéria jusqu’à chez eux. Il s’agit de filles très jeunes. Parallèlement, il est désormais avéré qu’il y a un véritable tourisme sexuel européen au Nigéria.

Par ailleurs, le rituel du juju a été brisé avec l’acte de Oba* mais cela n’a pas eu de conséquences déterminantes sur la traite, ça a été quelque chose de temporaire et seulement limité aux zones alentours de Benin City. La soumission psychologique des femmes initiées à la prostitution existe donc toujours, ainsi que la pression de la dette. Dans la majeure partie des régions nigérianes, notamment les zones périphériques à confession musulmane, cet acte n’a pas eu d’effet sur la réduction de la traite. Je pense que le réseau pentecotiste* s’est renforcé dans la mesure où c’est autour de leurs églises qu’on voit une agrégation des systèmes criminels. 

En Italie, à Taranto, dans les Pouilles, il y a un important marché de femmes Nigérianes. Il y a un axe entre Pouilles, la Sicile et Turin, où l’on retrouve les Black Axes. En Campanie, on trouve les Vikings, alliés avec la Camorra, qui sont aussi présents vers l’Émilie-Romagne et la Vénétie. En Europe, il y a surtout les Black Axes, ils sont plus riches, plus organisés et ils ont su s’installer sur le territoire même si leur but n’est pas de s’intégrer en Italie. Ils tissent des relations avec les criminalités locales, vendent la drogue à un prix très bas et sont aussi en train d’organiser des réseaux criminels noirs, mais pas nigérians. Ils peuvent notamment faire recours aux réseaux Camerounais du nord du pays qui veulent leur indépendance, ainsi que les Soudanais ou les Congolais. Même si l’Italie s’est appauvrie, la demande de sexe tarifé n’a pas diminuée et est devenu économiquement plus abordable. Les réseaux criminels Nigérians ont su tirer profit de cette situation. Ils étaient déjà présents dans le pays mais n’étaient pas organisés dans une structure mafieuse, laquelle s’est progressivement constituée avec les Madam qui ont été intégrées dans ces réseaux criminels.”

Interview menée et retranscrite par

walter guido rossi