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INTERVIEW à

LINDA PORN

Travailleuse chez CATS ( COMITE DE APOYO A LAS TRABAJADORAS SEXUALES)

Bonjour Linda, pourrais-tu nous présenter Cats ?

Cats est une association mixte, où la majeure partie des employés ce sont des travailleuSEs du sexe. On existe depuis 22 ans, et cela fait de nous la plus ancienne association espagnole en matière de soutien et promotion des droits des sexworkers. On est situé à Murcia. Cats est la seule association espagnole qui prévoit une consultation médicale garantie par une gynéco à destination des tds. Un service comme celui-ci n’existe même pas à Madrid ou à Barcelone.

On se rend aussi dans les clubs de alterne ( club de charme, pour en savoir plus je conseille la lecture de cet article du Courrier International https://www.courrierinternational.com/article/2009/06/04/des-bordels-par-milliers) pas que pour partager du matériel de prévention mais aussi pour communiquer différents types d’informations avec les compañerxs qui travaillent dans ces endroits très éloignées de la ville. On sort deux fois par semaine à los club de 17h à las 00. On effectue des accompagnements juridiques avec une avocate et avec deux travailleuses sociales et on organise des moments communautaires, des ateliers, des séminaires, etc.

C’est quoi la situation législative en Espagne vis-à-vis du travail du sexe ?

Ici en Espagne on a une loi très stigmatisante, la loi Mordaza, faite pendant la période franquiste, qui poursuit les personnes sans domicile fixe et les prostituées de rue. Le fait d’être à la rue peut entrainer la détention de la personne ou même sa déportation dans los centros de enfermamento del extranjero (l’équivalent des CRA) s’il s’agit d’une personne migrante. La fasciste loi Mordaza, en place depuis 50 ans, est inamovible.                                                                                                                                                             

Puis on a vécu dans un limbo de alegalidad, pour lequel le travail du sexe n’est pas légal ni illégal, au moins jusqu’à l’arrivée du PSOE qui s’est déclaré ouvertement abolitionniste. On a commencé à avoir beaucoup de pression avec ce gouvernement ‘’féministe hégémonique blanc’’ qui nous a fortement endommagé. Il y a un an on a commencé à convoquer des mobilisation et des manifestations, on avait proposé une rencontre à la ministre pour l’égalité de chance qui n’est pas venue.

 A ce moment-là tous les entrepreneurs des clubs avait commencé à être accusé de proxénétisme et toutes les personnes qui travaillait dans les clubs étaient étiquetées comme des victimes de la traite. Heureusement avec nos efforts on a pu freiner un petit peu toute cette dynamique de stigmatisation même si cela reste un but bien prioritaire dans les intentions gouvernementales.

Pour le prochain Ministero de la igualdad il a été proposé un individu qui revendique des propos nettement prohibitionnistes et c’est pour cela qu’on ne peut pas trop se reposer.

Qu’en penses-tu des positions abolitionnistes du féminisme radical et du fait que le PSOE et SUMAR, les principales forces politiques de gauche, adhèrent à cette vision ?

Les féministes radicales abolitionnistes sont des étudiantes universitaires de classe moyenne qui se permettent de parler des femmes pauvres, précaires et sans études qui pensent que c’est plus digne de vendre leur cerveaux, comme elles font, que d’offrir des services sexuelles. Elles portent des propos misogynes, racistes et classistes.  C’est une lutte de classe ! Pourquoi ces individus ne parlent pas de celleux qui effectuent des travaux domestiques ou qui récoltent les fruits ? Pourquoi on est leur seul focus ? Il y a beaucoup de moral dans leur discours comme si les travailleurSEs du sexe généraient un panique social. Cela est inacceptable.

Sumar et PSOE sont des gauches européennes fakes, des petits jouets qui se revendiquent très à gauche mais lorsqu’il s’agit de parler des droits de la catégorie des sexworkers se mettent les mains à la tête comme si l’on était au moyen âge ou comme si l’on vivait dans un état catholique.

Le PSOE s’est donc revendiqué comme un parti abolitionniste qui veut pénaliser les clients. Peux-tu m’en dire un peu plus sur les effets et sur les conséquences de cette politique ?

La fermeture de beaucoup de sites d’escorting, par exemple, a été un coup super dur. Le travail a baissé énormément. Le fait de menacer les clients est un écran de fumée. Comme ils se disent féministes ils ne peuvent pas nous attaquer directement et du coup ils s’en prennent aux clients. Il y a une campagne, une croisade contre la prostitution. Même le travail de rue qui n’utilise pas d’annonce a été énormément pénalisé au point qu’en Espagne il n’existe presque plus, il a été complètement démembré.                  

Toute cette criminalisation du client attribue à ce dernier un pouvoir de négociation plus fort dans la mesure où il peut vouloir payer moins cher en raison du fait qu’en allant voire une tds il encoure dans des possibles conséquences légales. Le client n’a jamais eu un tel pouvoir de négociation, ça a été toujours nous à décider le tarif.

Pour ce qui concerne la question locative, pour l’instant on n’a pas trop des difficultés à louer des appartements à des compañerxs à des prix corrects mais le goal abolitionniste consiste aussi dans le fait d’interdire tout cela. Il y a plein d’abus policiers aussi. Les forces de l’ordre rentrent désormais dans les appartements des tds sans ordre judiciaire, ils prennent les compañerxs et les enferment dans los Centros de enfermamento del extranjero.

J’ai pu observer qu’en Espagne le tarif pour une relation sexuelle avec une tds est généralement très abordable. Est-elle aussi une conséquence de l’abolitionnisme ?

C’est le cas, il y a plein d’appartements où les filles travaillent pour 20 ou 30 euros et si tu considères que la moitié est employé pour payer l’appartement, ta prestation sexuelle tu la fais pour 10 ou 15 euros. Oui, cette baisse radical des tarifs qu’aujourd’hui sont vraiment dérisoires est provoquée directement par les politiques abolitionnistes qui nous poussent vers la précarité et vers la clandestinité.

Est-ce que tu peux m’en dire plus sur los club de alterne ?

Les club de alterne c’est l’endroit où l’abolitionniste espagnol prends pied.  Les clubs sont des endroits durs ou il y a beaucoup d’exploitation et de violence. Ils sont très éloignés et ils ne sont pas desservis par les transports publiques. Les matelas ne sont souvent pas appropriés ni pour dormir ni pour baiser, les chambres sont souvent en mauvais état, il fait soit très chaud soit très froid. Dans les clubs il faut travailler pendant 12h même avec les règles et si tu ne travailles pas pendant 3 jours d’affilés le gérant.es t’expulse. Ceux-ci sont souvent des ex travailleuses sexuelles qui connaissent très bien le milieu.

Les individus travaillant dans ces endroits sont contraints à y vivre et ne bénéficient pas de leurs journées car iels travaillent toute la nuit. En los club tu travailles trois semaine consécutives de manière très intense ( période dite de plazas) et après tu reposes pendant 15 jours chez toi.. si jamais tu as un chez toi. Une fois achevé la période des trois semaines tu ne peux plus continuer à travailler dans le même club et il faut que t’en trouves un autre.

Quand tu travailles là-dedans tu ne peux pas sortir à l’extérieur, soit parce que tu ne connais pas l’environnement extérieur, soit parce qu’il y a des restrictions imposé par les gérants du club ou parce que tu n’as pas le temps car tu te lèves à 17h et à 18h il faut être opérationnel. Les individus qui travaillent dans les clubs subissent aussi le precio puta, c’est-à-dire qu’il y a des commerçants qui se déplacent dans les club pour vendre vêtements, chaussures, maquillages, du lubrifiant ou du matériel de prévention et plein d’autres choses à des prix décidément majorées.

Les clubs plongent toujours dans l’obscurité pour restituer une ambiance nocturne même si dehors il fait jour. A niveau mental c’est fou. Tu ne vois jamais le jours même si tu travailles pendant le jour. Même tes trois repas tu les fais là-dedans. Les clients viennent pour boire un verre et pour baiser, ils tchatchent avec les nombreuses filles jusqu’à quand ils ne font pas leur choix. Les prix sont fixes, le minimum est généralement de 120 euro pour le sexe. Ces club se présentent légalement comme discothèques et les filles qui travaillent sont enregistrées comme danseuses ou animatrices. Le prix de la chambre coute aux travailleurSEs des clubs généralement entre  les 60 et les 80 euro par jour.

Entretien réalisé par Walter Guido Rossi