RUBRIQUE ESPAGNOLE/ 2

4 QUESTIONS A

ESTEFANIA ACIEN GONZALEZ

SOCIOLOGUE, ACTIVISTE, Y PROF. A LA UNIVERSIDAD DE ALMERIA, AUSSI AUTRICE DU LIVRE “NIGÉRIENNES DANS LE PONIENTE. UNE DÉCADE D’ETHNOGRAPHIE”

Merci pour ta disponibilité Estefania. Pourrais-tu nous raconter quelque chose sur ton livre à propos de la prostitution nigériane dans les zones agricoles situées dans le sud de Almeria? 

Je suis rentré en tant que sociologue dans la thématique des études sur la prostitution et la migration à partir de mon intention d’approfondir ces thématiques d’un point de vue académique et sur la base aussi de mon parcours de militante et d’activiste. Ça fait presque 30 ans que je suis militante, depuis 1995.

J’ai travaillé avec la CSP proderechos de Andalousie ( ma prochaine interview ndr ) et on avait été appelé pour connaitre un environnement de prostituées nigérianes qui se situait dans une zone d’agriculture intensive industrielle du sud de Almeria. Elles vivaient et travaillaient dans los diseminados, les vieux logements des agriculteurs construits par eux-mêmes à côté des serres où ils travaillaient. 

Il arrive un moment où l’économie commence à se développer favorablement pour ces agriculteurs qui achètent des appartements dans les centres urbains et qui commencent à louer ces petits  logements aux travailleurs agricoles du nord afrique. 

En Afrique occidental il y a une tradition commerciale très forte qui se fait entre femmes, c’est les femmes qui gèrent les activités commerciales, surtout les petites. Être capable de survivre dans un environnement complexe et précaire à travers le commerce est une stratégie historique et très commune mise en place par les femmes africaines. 

Entre 1997 et 2000 elles commencent à mettre en place des lugares de ocio, des espaces récréatifs pour les travailleurs agricoles présents sur place. Pour deux raisons. Avant tout parce que ces travailleurs n’ont pas de moyens de transport et ils ne peuvent pas donc pas se rendre en ville pour fréquenter des endroits récréatifs mais aussi parce que là-bas ils seraient discriminés. Ces endroits avaient été pensé par des hommes d’afrique occidentale mais finalement ce seront surtout les maghrébins qui fréquentent ces endroits. Ces femmes mettent en place des bar ou pouvoir ecouter de la musique africaine, manger de la bouffe africaine, regarder des films africains..Et finalement elles décident d’offrir aussi des services sexuelles. Avec le temps dans ces endroits ils arriveront aussi beaucoup d’espagnoles. 

La majeure partie de ces femmes, aujourd’hui ils en restent très peu, venaient et viennent surtout de Edo, Benin City, Yoruba, Igbo. Igbo moins car c’est un groupe ethnique très discriminé. Souvent elles arrivent en Espagne en sachant qu’elles feront de la prostitution (mutual agreement). Mais le problème c’est qu’elles croient que cela ne va pas être aussi pénible comme c’est le cas. J’ai pu accumuler pendant 10 ans des informations à ce sujet en faisant de l’observation participante dans le cadre de mon travail associatif et maintenant que j’ai fini ma recherche j’ai des informateurs qui me tiennent au courant de ce qui se passe. 

On avait pas un projet pour ‘’libérer les femmes de la prostitution” mais notre but c’était de satisfaire les besoins qu’elles exprimaient. Aide pour avoir la carte vitale, don de préservatifs, accompagnement aux services sanitaires, accompagnement global administratif.

Les choses ont beaucoup changé maintenant, il y a très peu de femmes nigérianes maintenant et beaucoup d’entre elles ont finalement pu avoir, après de longues années, leurs papiers espagnols ou leurs titres de séjour. En s’ayant professionalisé dans le travail du sexe, beaucoup d’entre elles continuent à faire ce travail et certaines ont mis en place leurs propres maisons closes. 

Pour changer et pour élargir la focale sur la question de ton pays, peux-tu me parler d’une des conséquences des politiques abolitionnistes en Espagne ?

Le problème c’est qu’en Espagne ils veulent montrer qu’ils arrivent à stopper la traite mais finalement ils finissent par en finir avec le travail du sexe autonome. 

Je vais te parler d’une situation très précise. Une des conséquences des politiques abolitionnistes c’est que les propriétaires des espaces web ou on trouve les annonces des tds sont en train de monter considérablement. En Only Fans la concurrence est encore plus forte. 

Dans ce monde il est nécessaire une maîtrise de la capacité à maîtriser ces espèces qui n’est pas à la portée de tous.tes les tds,qui souvent ne connaissent pas la langue, la culture et qui restent donc exclus. Souvent, les femmes qui n’ont pas le moyen de maîtriser la capacité à faire des annonces sophistiquées finissent souvent par travailler par un tiers dans un club de alterne ( voir mon précédent article de la rubrique espagnole à Linda Porn ou dans un appartement). 

L’état est en train de porter prejudice à la prostitution plus basique, celle autonome, qui cherche à gagner sa vie avec le travail du sexe sans devoir faire recours à un tiers. Si elles peuvent travailler seules, elles sont le moyen de choisir les heures de travail, les tarifs, les types de prestation, alors qu’avec un intermédiaire, un proxénète, cela n’est pas possible. On est en train de valider la véridicité de cette hypothèse, de cette dynamique que je viens de te décrire avec les collègues activistes. On est persuadé que cela se passe effectivement ainsi. 

Comment expliquez-vous la prise de position abolitionniste du parti de gauche Sumar ?

Etre à faveur de l’abolitionnisme est plus avantageux au niveau électoral, au moins en Espagne. Je ne pense pas que Yolanda Diaz soit contraire à la réglementation de la prostitution, mais je crois que pour une question d’équilibre politique de son parti elle ne peut pas faire face à la posture idéologique des nombreux représentants communistes dedans Unidas Podemos et dedans Sumar qui ne tolèrent pas la prostitution.

Pour cela, je pense qu’elle porte ce type de discours sans y croire réellement mais il y a des contraintes politiques qui l’amènent à se conformer formellement à cette position. Elle ferait peut-être différemment si elle avait plus d’autonomie. Cette réflexion m’est sugerée aussi en raison de sa forte proximité avec Ada Colau, ex-maire de Barcelone et avec la ex-maire de Madrid, Manuela Carmena, parmi les figures faisant le plus autorité de cette gauche espagnole favorable à la légalisation de la prostitution.

J’espère tout de même que le Ministère pour l’égalité des chances sera attribué à Sumar car le PSOE est un parti encore plus abolitionniste et cela est visible par le discours portés par la ministra de la igualdad de PSOE, Irene Montero, qui répète mécaniquement son discours abolitionniste et ne laisse pas croire à des possibilités d’évolution de la situation. De plus, ce parti se caractérise aussi par un esprit transphobe car les faits de ces dernières années nous racontent .

Quelles sont les communautés migrantes de tds plus répandues aujourd’hui en Espagne et dans quel type d’obstacles juridiques et civiles elles encourent majoritairement?

Il y a un temps où on avait beaucoup de dominicaines, beaucoup de brésiliennes. Le marché était plus exotisé si je puis dire. Je sais qu’ en Almeria les femmes subsahariennes ont énormément diminué, il y a eu un boom durant la première dizaine des années 2000 et après il y a une décroissance très forte de leur présence. 

Dans les blogs dediés au travail du sexe, ils disent qu’il y a de plus en plus de latinoamericaines. 

J’ai la sensation que pour les femmes migrantes le problème du titre de séjour s’est enkysté, qui s’est complètement bloqué. Aujourd’hui pour l’obtention de la régularité de séjour sur le territoire espagnol soit tu te maries avec un espagnol soit tu arrives à avoir un contrat de travail d’un an. Cette dernière option n’existe pas, personne ne fait des contrats d’un an à quelqu’un qui n’a jamais travaillé sur le territoire espagnol et qui est migrant. 

Au max ils te font des contrats de 3 mois. Pour se régulariser por arraigo en Espagne, tu dois rester sur le territoire espagnol pendant 3 ans en accumulant les preuves documentaires de ta permanence  et tu dois avoir un contrat de travail d’un an. Les femmes migrantes travailleuses du sexe ne peuvent donc pas obtenir la regularité sur le territoire de manière legale et elles sont completement paralisés. Elles combinent souvent le travail du sexe avec un autre travail très precaire. Elles continuent d’arriver malgré les complexités qu’elles vivent ici. 

Je participe à des études avec une étude comparative entre les travailleuses agricoles journalières de Gerona sud américaines et celles qui font la récolte de fraises de Almeria, qui sont marocaines. Ces dernières vont vivre dans los asentamientos chabolistas ( établissements informels en FR, insediamenti informali en ITA ). 

Les travailleuses de Gerona, comme celle de Almeria, combinent le travail agricole avec les services domestiques, mais c’est super complexe de se faire embaucher parce que les propriétaires agricoles préfèrent les hommes. Les travailleuses latinoamericaines finissent par exercer la prostitution de manière classique, alors que les marocaines finissent souvent par se chercher un copain, un petit ami qui les protége. Si elles faisaient de la prostitution, en étant dans en environemment très traditionnaliste, elles se feraient harceler sexuellement tout le temps dans ces asentamientos chabolitas. 

La prostitution est une institution comme les abolitionnistes disent, et je suis d’accord. C’est une institution qui est sûrement traversée par le patriarcat. Mais ce qui change c’est que c’est une stratégie économique qui permet aux femmes d’exploiter le patriarcat à son propre avantage. En Espagne la ley de extranjeria  ne permet pas aux femmes migrantes d’évoluer dans leur propre parcours migratoire ou elles n’ont pas de droits et ou elles n’ont pas moyen de prendre de décisions. Et elles finissent parfois par acheter un faux contrat de travail d’un an pour se régulariser pour 9.000 ou 10.000 euros, en plus de ce qu’elles ont dû dépenser pour passer la route migratoire. 

Entretien réalisé par Walter Guido Rossi

CORPS MIGRANTS

Antigone : Tu peux partager avec moi le fardeau de l’action….

Ismène : Quelle action ? A quoi penses-tu ?

Antigone : …et m’aider à soulever le corps….

Ismène : Veux-tu l’enterrer ? Même si c’est interdit ?

Antigone : C’est mon frère, c’est aussi ton frère. Si tu t’y opposes, ce ne sera pas moi qui le trahira.

Ismène : Mais Créon l’interdit, misérable !

Antigone : Il ne peut pas me séparer de ceux que j’aime.

Ce mardi 10 octobre, je pense à Antigone.

L’association culturelle Maldusa, qui nous a accueillis avec notre projet de réseau Beyond Borders, a organisé une série de rencontres entre des associations non gouvernementales actives dans la défense des droits des migrants et visant à promouvoir la liberté de circulation.

Le thème de mardi 10 octobre était précisément celui de l’aide aux migrants en voyage, dans le désert ou en traversant la mer.

On estime que depuis 2014, plus de 26 000 personnes sont mortes. Ceux qui ont disparu dans le désert, selon un activiste d’AlarmPhone Sahara

( Acceuil – Alarmphone Sahara (alarmephonesahara.info) ) est incalculable, mais il dépasse les centaines de milliers. Il nous rappelle que si la mer rend parfois des corps sans vie et sans nom, le désert est moins clément.

Les associations qui prennent la parole sont nombreuses, de Alarm Phone Sarah, à Mediterranean

Hope, Alarm Phone, Mediterranea, Maldusa elle-même.

Le mot dignité est celui qui revient le plus souvent : pour les corps retrouvés en mer et que les sauveteurs ne savent pas comment transporter à terre avec les vivants, pour les familles qui perdent leurs proches et qui continuent à les chercher désespérément pendant des années, pour ces personnes qui ont perdu la vie en tentant vainement de se sauver, et pour celles qui ont perdu la vie en tentant vainement d’arriver dans une Europe fortifiée, barricadée, et dont les lois en vigueur sur l’identification des victimes de la traite des êtres humains ne sont pas respectées.

Les lois en vigueur sur l’identification des morts sans nom sont extrêmement différentes.

On dit que le besoin d’identifier nos morts est atavique. Les toucher, les voir une dernière fois : avoir, en quelque sorte, la certitude qu’ils sont bien morts serait une façon de les accompagner et de survivre à leur disparition.

Antigone enterre le cadavre de son frère Polynice, contrevenant ainsi aux ordres de Créon, son roi et son oncle.

Polynice avait marché contre sa propre ville et s’était battu en duel avec son frère Etéocle.

Tous les deux moururent. Sur ordre de Créon, le corps de Polynice doit être laissé aux vautours et aux chiens. Jusqu’à ce qu’Antigone décide de désobéir et d’enterrer dignement son frère mort. En renonçant à sa propre vie.

J’y pense toute la journée. Combien d’Antigone ai-je rencontrées aujourd’hui ?

1 (Sophocle, Antigone, vers 37-48, traduit par Maria Grazia Ciani dans Antigone, Variazioni sul mito, Marsilio 2000), https://www.archeostorie.it/

Dans l’après-midi, un homme du Forum de solidarité nous emmène visiter le cimetière.

C’est là qu’ont été enterrés dignement les corps des hommes, des femmes et des enfants morts pendant le sauvetage ou rejetés par la mer et déposés sur le rivage.

À l’entrée du cimetière se trouve cette plaque :

Pour un étranger, les étrangers ne pleurent pas.

Dans ce cimetière ont été enterrés un nombre indéterminé de femmes et d’hommes morts en essayant de rejoindre l’Europe en traversant la Méditerranée, le seul moyen d’avoir une chance d’avoir un avenir. Presque toutes les tombes n’ont pas de nom.

Les seules informations qu’il a été possible de retrouver sur l’histoire de ces personnes concernent les circonstances de leur mort ou la découverte de leur corps.

Mais tous ont vécu. Ils se sont réjouis et ont souffert, ils ont espéré et lutté, ils ont attendu et porté le deuil. Ils ont attendu et pleuré. Sachant que chaque fragment d’histoire est capable de produire une fissure dans le mur qui sépare les uns des autres et dans l’espoir que la mémoire de ces vies ne sera pas perdue,il faut continuer à raconter pour multiplier les voix et les rendre assourdissantes.

Pleurer la mort de ceux que l’on n’a jamais vus implique une parenté vitale entre leur âme et la nôtre ; pour un étranger, les étrangers ne portent pas le deuil. (Emily Dickinson)

L’un des projets du Forum de solidarité de Lampedusa prévoit que pour chacun de ces corps, une pierre tombale sera décorée avec des céramiques qui ont toutes les mêmes symboles : la mer, les barbelés qui représentent les frontières, une plume, qui est l’âme de ces personnes.

Parfois la date de la mort, parfois la date à laquelle le corps sans vie a été trouvé.

Parfois un nom, donné par les compagnons de route qui ont survécu, car, dit-on, lorsqu’une personne sent qu’elle se noie, elle crie son nom, dans l’espoir que les personnes qui l’entourent l’entendent et en informent la famille.

La seule personne enterrée dans le cimetière dont le nom est connu est Walela, une très jeune femme érythréenne, victime de terribles souffrances en Libye à cause de brûlures sur tout son corps, chargé sur la barge comme un objet, est mort dans d’atroces souffrances pendant le voyage.

Notre guide, qui demande à rester anonyme, nous rappelle ce que nous savons tous : si les gens, tous les gens, avaient le droit de vivre dans la dignité, ils auraient pu vivre dans la dignité.

Tous auraient le droit de se déplacer, si tous avaient un visa et un passeport. Seuls les cadavres de ceux qui ont été tués par la guerre ont pu être retrouvés, seuls les corps de ceux qui ont vécu sur l’île reposeraient aujourd’hui dans ce cimetière.

Ce ne sont pas seulement la mer et le désert qui tuent, mais les politiques migratoires européennes.

Hanna Arendt a donné au mot dignité un inaliénable “droit d’avoir des droits” , qui est, avant tout,

celui d’appartenir à l’humanité.

Dans ses textes, elle nous parle précisément des hommes qui, en tant que refus de l’humanité, sont privés de droits et donc de dignité.

Des corps sans valeur, prêts à être réduits en cendres.

Des corps sans visage et sans nom. Des corps avalés par le désert. Des corps dévorés par la mer.

Des corps de migrants.

RUBRIQUE ESPAGNOLE/ 1 

INTERVIEW à

LINDA PORN

Travailleuse chez CATS ( COMITE DE APOYO A LAS TRABAJADORAS SEXUALES)

Bonjour Linda, pourrais-tu nous présenter Cats ?

Cats est une association mixte, où la majeure partie des employés ce sont des travailleuSEs du sexe. On existe depuis 22 ans, et cela fait de nous la plus ancienne association espagnole en matière de soutien et promotion des droits des sexworkers. On est situé à Murcia. Cats est la seule association espagnole qui prévoit une consultation médicale garantie par une gynéco à destination des tds. Un service comme celui-ci n’existe même pas à Madrid ou à Barcelone.

On se rend aussi dans les clubs de alterne ( club de charme, pour en savoir plus je conseille la lecture de cet article du Courrier International https://www.courrierinternational.com/article/2009/06/04/des-bordels-par-milliers) pas que pour partager du matériel de prévention mais aussi pour communiquer différents types d’informations avec les compañerxs qui travaillent dans ces endroits très éloignées de la ville. On sort deux fois par semaine à los club de 17h à las 00. On effectue des accompagnements juridiques avec une avocate et avec deux travailleuses sociales et on organise des moments communautaires, des ateliers, des séminaires, etc.

C’est quoi la situation législative en Espagne vis-à-vis du travail du sexe ?

Ici en Espagne on a une loi très stigmatisante, la loi Mordaza, faite pendant la période franquiste, qui poursuit les personnes sans domicile fixe et les prostituées de rue. Le fait d’être à la rue peut entrainer la détention de la personne ou même sa déportation dans los centros de enfermamento del extranjero (l’équivalent des CRA) s’il s’agit d’une personne migrante. La fasciste loi Mordaza, en place depuis 50 ans, est inamovible.                                                                                                                                                             

Puis on a vécu dans un limbo de alegalidad, pour lequel le travail du sexe n’est pas légal ni illégal, au moins jusqu’à l’arrivée du PSOE qui s’est déclaré ouvertement abolitionniste. On a commencé à avoir beaucoup de pression avec ce gouvernement ‘’féministe hégémonique blanc’’ qui nous a fortement endommagé. Il y a un an on a commencé à convoquer des mobilisation et des manifestations, on avait proposé une rencontre à la ministre pour l’égalité de chance qui n’est pas venue.

 A ce moment-là tous les entrepreneurs des clubs avait commencé à être accusé de proxénétisme et toutes les personnes qui travaillait dans les clubs étaient étiquetées comme des victimes de la traite. Heureusement avec nos efforts on a pu freiner un petit peu toute cette dynamique de stigmatisation même si cela reste un but bien prioritaire dans les intentions gouvernementales.

Pour le prochain Ministero de la igualdad il a été proposé un individu qui revendique des propos nettement prohibitionnistes et c’est pour cela qu’on ne peut pas trop se reposer.

Qu’en penses-tu des positions abolitionnistes du féminisme radical et du fait que le PSOE et SUMAR, les principales forces politiques de gauche, adhèrent à cette vision ?

Les féministes radicales abolitionnistes sont des étudiantes universitaires de classe moyenne qui se permettent de parler des femmes pauvres, précaires et sans études qui pensent que c’est plus digne de vendre leur cerveaux, comme elles font, que d’offrir des services sexuelles. Elles portent des propos misogynes, racistes et classistes.  C’est une lutte de classe ! Pourquoi ces individus ne parlent pas de celleux qui effectuent des travaux domestiques ou qui récoltent les fruits ? Pourquoi on est leur seul focus ? Il y a beaucoup de moral dans leur discours comme si les travailleurSEs du sexe généraient un panique social. Cela est inacceptable.

Sumar et PSOE sont des gauches européennes fakes, des petits jouets qui se revendiquent très à gauche mais lorsqu’il s’agit de parler des droits de la catégorie des sexworkers se mettent les mains à la tête comme si l’on était au moyen âge ou comme si l’on vivait dans un état catholique.

Le PSOE s’est donc revendiqué comme un parti abolitionniste qui veut pénaliser les clients. Peux-tu m’en dire un peu plus sur les effets et sur les conséquences de cette politique ?

La fermeture de beaucoup de sites d’escorting, par exemple, a été un coup super dur. Le travail a baissé énormément. Le fait de menacer les clients est un écran de fumée. Comme ils se disent féministes ils ne peuvent pas nous attaquer directement et du coup ils s’en prennent aux clients. Il y a une campagne, une croisade contre la prostitution. Même le travail de rue qui n’utilise pas d’annonce a été énormément pénalisé au point qu’en Espagne il n’existe presque plus, il a été complètement démembré.                  

Toute cette criminalisation du client attribue à ce dernier un pouvoir de négociation plus fort dans la mesure où il peut vouloir payer moins cher en raison du fait qu’en allant voire une tds il encoure dans des possibles conséquences légales. Le client n’a jamais eu un tel pouvoir de négociation, ça a été toujours nous à décider le tarif.

Pour ce qui concerne la question locative, pour l’instant on n’a pas trop des difficultés à louer des appartements à des compañerxs à des prix corrects mais le goal abolitionniste consiste aussi dans le fait d’interdire tout cela. Il y a plein d’abus policiers aussi. Les forces de l’ordre rentrent désormais dans les appartements des tds sans ordre judiciaire, ils prennent les compañerxs et les enferment dans los Centros de enfermamento del extranjero.

J’ai pu observer qu’en Espagne le tarif pour une relation sexuelle avec une tds est généralement très abordable. Est-elle aussi une conséquence de l’abolitionnisme ?

C’est le cas, il y a plein d’appartements où les filles travaillent pour 20 ou 30 euros et si tu considères que la moitié est employé pour payer l’appartement, ta prestation sexuelle tu la fais pour 10 ou 15 euros. Oui, cette baisse radical des tarifs qu’aujourd’hui sont vraiment dérisoires est provoquée directement par les politiques abolitionnistes qui nous poussent vers la précarité et vers la clandestinité.

Est-ce que tu peux m’en dire plus sur los club de alterne ?

Les club de alterne c’est l’endroit où l’abolitionniste espagnol prends pied.  Les clubs sont des endroits durs ou il y a beaucoup d’exploitation et de violence. Ils sont très éloignés et ils ne sont pas desservis par les transports publiques. Les matelas ne sont souvent pas appropriés ni pour dormir ni pour baiser, les chambres sont souvent en mauvais état, il fait soit très chaud soit très froid. Dans les clubs il faut travailler pendant 12h même avec les règles et si tu ne travailles pas pendant 3 jours d’affilés le gérant.es t’expulse. Ceux-ci sont souvent des ex travailleuses sexuelles qui connaissent très bien le milieu.

Les individus travaillant dans ces endroits sont contraints à y vivre et ne bénéficient pas de leurs journées car iels travaillent toute la nuit. En los club tu travailles trois semaine consécutives de manière très intense ( période dite de plazas) et après tu reposes pendant 15 jours chez toi.. si jamais tu as un chez toi. Une fois achevé la période des trois semaines tu ne peux plus continuer à travailler dans le même club et il faut que t’en trouves un autre.

Quand tu travailles là-dedans tu ne peux pas sortir à l’extérieur, soit parce que tu ne connais pas l’environnement extérieur, soit parce qu’il y a des restrictions imposé par les gérants du club ou parce que tu n’as pas le temps car tu te lèves à 17h et à 18h il faut être opérationnel. Les individus qui travaillent dans les clubs subissent aussi le precio puta, c’est-à-dire qu’il y a des commerçants qui se déplacent dans les club pour vendre vêtements, chaussures, maquillages, du lubrifiant ou du matériel de prévention et plein d’autres choses à des prix décidément majorées.

Les clubs plongent toujours dans l’obscurité pour restituer une ambiance nocturne même si dehors il fait jour. A niveau mental c’est fou. Tu ne vois jamais le jours même si tu travailles pendant le jour. Même tes trois repas tu les fais là-dedans. Les clients viennent pour boire un verre et pour baiser, ils tchatchent avec les nombreuses filles jusqu’à quand ils ne font pas leur choix. Les prix sont fixes, le minimum est généralement de 120 euro pour le sexe. Ces club se présentent légalement comme discothèques et les filles qui travaillent sont enregistrées comme danseuses ou animatrices. Le prix de la chambre coute aux travailleurSEs des clubs généralement entre  les 60 et les 80 euro par jour.

Entretien réalisé par Walter Guido Rossi

OCTOBRE 2023 : DESTINATION LAMPEDUSA

« Quel monde se trouve au-delà de cette mer, je ne sais pas, mais chaque mer a une autre rive, et j’y arriverais ».

Cesare Pavese, Le métier de vivre

Nous en avons parlé pendant des années : nous l’avons imaginé, nous l’avons désiré.

Il y a quinze jours, nous avons décidé de partir. La nouvelle augmentation des débarquements, l’anniversaire tragique du naufrage d’octobre 2013, les politiques migratoires nationales et européennes de plus en plus drastiques.

Lampedusa : la porte de la Méditerranée.

Nous sommes quatre opérateurs.trices français.es et nous faisons toustes partie du réseau Beyond Borders, qui a été officiellement créé à Vintimille en février 2022 et qui rassemble des opérateurs.trices français.es et italien.ne.s qui luttent, de manière légale, contre la traite et le trafic d’êtres humains.

Tout ce qu’il y a à dire sur nous quatre à Marseille, c’est que nous accompagnons les migrant.e.s, adultes et mineur.e.s, dans différentes structures qui ont des fonctions différentes : centres d’accueil, cabinets d’avocats, lieux de soins physiques et psychologiques, centres de jour, communautés pour mineur.e.s.

Depuis des années, nous accueillons des personnes en mouvement pour lesquelles Marseille est, au mieux, une destination finale, ou une étape intermédiaire parmi d’autres.

Dans notre ville, depuis janvier 2023, l’arrivée de mineur.e.s étranger.e.s non accompagné.e.s a augmenté ; celle de jeunes femmes originaires de Guinée, de Côte d’Ivoire et du Cameroun également.

Nous recevons quelques récits sommaires des passages à Vintimille, mais nous avons une parfaite connaissance de ce qui se passe quand les gens arrivent ici, dans notre ville.

Nous avons un aperçu de ce qui se passe après le débarquement et après le transit et l’accueil en Italie, mais une forte expérience directe de la prise en charge sociale, juridique, administrative, sanitaire en France.

De la partie qui précède, des voyages et des débarquements, de l’errance à la recherche, de la violence et des négociations, nous avons les histoires des personnes qui nous ont fait confiance et le grand désir de les rencontrer à leur arrivée. Finalement, c’est comme si dans le fil des récits et des histoires, nous tenions la fin, mais le début est une image, un souvenir qui n’est pas le nôtre, une émotion qui est parfois décousue. Nous ne nous en plaignons pas. Nous avons rencontré beaucoup de personnes qui ont bien voulu partager leur histoire avec nous. Mais nous souhaiterions une rencontre au point de départ.

Lampedusa. Comme toute île, une coexistence entre ouvertures et fermetures.

20 km de terre plus proche à l’Afrique que à l’Italie, un mythe de l’accueil.

Île, d’espaces ouverts et fermés, avec sa porte sur la Méditerranée et un hotspot inaccessible pour nous opérateurs.trices venant de l’extérieur, mais entouré d’une clôture métallique pleine de trous qui permettent le passage.

Une île qui connaît l’accueil ? Le subit-elle ?

Nous nous sommes toujours interrogés sur le mécanisme qui est grippé : pourquoi sommes-nous tous de tels “expert.e.s” en matière de traite et de violence, pourquoi en savons-nous tant, et pourtant, des personnes nous échappent pour continuer à passer entre les doigts des trafiquants ? Qu’est-ce qui est communiqué à l’arrivée ? Qui communique ? Comment cela arrive-t-il ? Qui accueille ? Comment accueille-t-il ?

Nous avons l’espoir que si la fin était racontée au début, peut-être que quelques personnes de plus choisiraient différemment. Peut-être que le mécanisme de la traite serait partiellement enrayé et que quelques personnes de plus seraient mises à l’abri.

Nous voudrions parler aux personnes et non des personnes, mais d’ici, aujourd’hui, à quelques jours du départ, nous avons le sentiment qu’une fois de plus l’alpha risque de devenir oméga, que notre point de départ, c’est à dire celleux qui vivent le parcours migratoire et l’arrivée, deviennent inaccessibles, enfermé.e.s dans un centre, première prison d’une Europe qui s’est transformée en forteresse.

Nous partons, avec le désir de vivre la rencontre.

Nous voudrions, au moins cette fois-ci, commencer par le début.

La prostitution nigériane en France et en Italie

“Aujourd’hui les Nigérians ont une grande facilité à déplacer les femmes exploitées d’Italie vers d’autres pays européens tels que la Suisse, l’Autriche, l’Allemagne, la Belgique, et le Luxembourg, où le crime organisé nigérian s’est établi en démantelant des réseaux criminels locaux, ou en faisant des pactes avec eux.”

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Le projet ESTIM (Espace Solidaire Trans Identitaire Marseillais)

Un projet de Autres Regards, porté par Stéphanie Esposito.

“… Après une année de bénévolat à Autres Regards, j’ai eu envie de m’engager pour les personnes transidentitaires et de créer des groupes de parole. J’ai commencé à créer un petit groupe en 2015 avec des anciennes femmes trans de la rue Curiol, et avec des personnes de la Permanence du service de dysphorie de genre de l’hôpital de la Conception.”

Stéphanie, 2023

Accompagnement médical et socio-administratif

« Dans le cadre d’ESTIM j’ai fait la connaissance de tous les partenaires médicaux et hospitaliers marseillais pour tout ce qui concerne la transition de genre. Il faut avoir un réseau tant dans le public que dans le privé, qui parfois va plus vite pour certains besoins des individus trans, comme dans le cas de la chirurgie esthétique. On propose aussi de l’aide pour les papiers administratifs, surtout pour le changement de prénom à la suite du changement de genre. »

Stéphanie, 2023

Sortir de l’isolement et de la marginalisation

« J’ai lancé et j’organise toujours des permanences et des groupes de parole avec des personnes qui fréquentent l’association. Puis les choses ont évolué au fur et à mesure, on a également fait des ateliers de bien-être et de cuisine, toujours dans le but de favoriser la sortie de l’isolement des personnes, pour qu’ils.elles prennent confiance et estime en ils.elles-mêmes. Une séance classique d’ESTIM peut prendre la forme d’un cercle de 5 ou 6 personnes. On a aussi fait des séances à 15 personnes, surtout basé sur la parole. On peut organiser des repas ensemble, des ateliers de théâtre ou des ateliers de couture. Ce sont souvent des personnes seules, étrangères (maghrebin.e.s, nigérian.ne.s), qui sont en début de transition ou qui sont en précarité. On peut parler aussi de sujets comme le sexe après les opérations, du plaisir post-opératoire, des modalités des opérations, etc. »

Stéphanie, 2023

Interview menée et retranscrite par

walter guido rossi

Beyond Borders – Réseau de soutien et d’action pour les droits des personnes en situation de traite et de trafic

Ce réseau a été créé en janvier 2022 à Vintimille suite à une rencontre entre des opérateurs sociaux et juridiques italiens et français.

Nos réflexions communes et nos observations de terrain ont fait ressortir le constat partagé et documenté que l’exploitation des personnes avec lesquelles nous travaillons ne se limite pas à un seul pays européen. Un réseau de coopération est ainsi nécessaire pour assurer les droits des personnes en situation de traite et de trafic.

Sex Workers Speak Out – 03/06/2023

Le 2 et 3 juin 2023, dans le majestueux cadre de la Sala Borsa de la ville de Bologne, a eu lieu le ‘’Sex workers Speak Out’’. Lors de cet événement, les voix des protagonistes ont été nombreuses et aux profils variés. Personnalités iconiques du monde associatif et militant, dont nombreuses TDS ou ex-TDS, figures du monde académique, syndicale et juridique se sont alternées sur la scène afin de faire un point sur l’actualité du sexwork dans le pays et de mettre en lumière tant ses éléments de criticité que ses horizons évolutifs.

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